samedi 6 novembre 2010

Breaking Bad : bilan de la saison 3

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Cet article évoque des éléments de la saison 3.

« J’ai fait mon acte, Electre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d’eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l’autre rive et j’en rendrai compte. Et plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c’est lui. Hier encore, je marchais au hasard sur la terre, et des milliers de chemins fuyaient sous mes pas, car ils appartenaient à d’autres. Je les ai tous empruntés (…) mais aucun n’était à moi. Aujourd’hui, il n’y en a qu’un, et Dieu sait où il me mène, mais c’est mon chemin. »

C’est à la lumière des paroles d’Oreste (Les Mouches, scène 8, acte II) que l’excellente troisième saison de Breaking Bad acquiert toute sa signification et sa portée. L’intervention d’une mouche dans le dixième épisode – sobrement intitulé Fly - et l’hommage à peine déguisé à Jean-Paul Sartre inscrivent la série dans l’évolution amorcée depuis Peekaboo (2.06) : la responsabilité. Car si jusqu’ici Walter et Jesse semblaient dépassés par les conséquences de leurs actes et emportés par le flot de leur irresponsabilité, s’épuisant vainement à nager à contre-courant, cet épisode vient assener ce que Jesse pressentait déjà depuis la mort de Jane : « On est ce que l’on est, et il faut l’accepter ».

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Une mouche donc, comme une version moderne des Erinyes, ces “déesses infernales” symboles du remords et lancées à la poursuite des auteurs de crimes ; une mouche qui fait son entrée sur fond de berceuse chantée à la petite Holly par Skyler, incarnant par là même toute la culpabilité de Walter à l’égard de sa famille : « l’instant parfait » pour mourir, selon lui, se situait précisément le jour de la mort de Jane, lorsqu’il écoutait quelques heures auparavant sa femme chanter cette même berceuse à leur fille, lorsqu’il était parvenu à subvenir à leurs besoins tout en les maintenant dans l’ignorance quant à ses activités ; une mouche comme (mauvaise) conscience, parvenue malgré toutes ses précautions à pénétrer à l’intérieur du bunker, à s’insinuer au cœur de sa deuxième vie, de cet autre « lui-même » qui se refuse encore à admettre ce que Jesse a au moins le courage de regarder en face : « Soyons réalistes : nous fabriquons du poison ». Et l’odeur de mort qui l’accompagne.

Mais comme Oreste, de retour à Argos dans une ville envahie par les mouches et rongée par le remords des crimes passés, comme Oreste, qui ne gagnera sa liberté qu’en assumant son acte meurtrier (il vengera son père Agamemnon en assassinant Égisthe et Clytemnestre), Walter va devoir se résoudre à assumer les siens, des plus généreux aux plus cruels. « Tout est contaminé », reconnaît-il amèrement à la fin de l’épisode, soudain conscient – à l’image de cette mouche revenue hanter ses nuits – qu’il est trop tard pour revenir en arrière. Qu’il va falloir apprendre à vivre avec ce poids.

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Un poids qui ne semble pas près de s’alléger, au vu de l’extraordinaire season finale : si pour Jesse, assumer leur responsabilité commune consisterait à se dénoncer à la police, il en va tout autrement pour Walt, qui envisage assez rapidement le meurtre de Gale comme unique solution pour sauver sa peau. Un meurtre hautement symbolique, puisque pour la première fois il s’agit d’un véritable choix, anticipé et planifié ; un meurtre qui fait également écho aux deux précédents et vient encore renforcer, presque malgré eux, le lien qui unit Walter et Jesse : en éliminant les deux trafiquants qui étaient sur le point de descendre son « partenaire », Walt ne laisse guère le choix à Jesse lorsqu’il l’implore en retour. Et lorsque par un léger - mais audacieux - mouvement de caméra se brise le « quatrième mur », celui qui isole le spectateur de l’action, c’est bien en pleine gueule que nous recevons à la fois la balle destinée à Gale et la souffrance rageuse de Jesse.

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