samedi 6 novembre 2010

L'Histoire selon HBO, par Marjolaine Boutet (journée d'étude du 8 juin 2010)

Dernière intervenante de cette deuxième journée d’étude universitaire, l’historienne et spécialiste des séries Marjolaine Boutet nous propose, à travers l’analyse de cinq d’entre elles - Rome, John Adams, Deadwood, Band of Brothers et The Pacific - une réflexion passionnante sur l’Histoire selon HBO. Ces cinq séries ont toutes disposé de grands moyens financiers, permettant des reconstitutions historiques très précises : costumes faits main dans les teintes, les tissus et les techniques de l’époque abordée, toutes reposent sur un grand souci du détail. Si trois d’entre elles - Deadwood, Rome et John Adams - traitent d’un des grands moteurs de l’Histoire, le pouvoir, et plus spécifiquement de la relation entre le pouvoir et la loi, les deux autres - Band of Brothers et The Pacific - abordent un autre élément moteur : la guerre.

Deadwood, Rome et John Adams : les relations entre le pouvoir et la loi

Deadwood, Rome et John Adams ont en commun de s’attaquer à des genres extrêmement populaires mais un peu passés de mode - le western pour Deadwood, le peplum pour Rome et la saga des Pères Fondateurs pour John Adams - et se proposent de les moderniser pour mieux interroger le présent.

Deadwood

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Créée par David Milch (Last of the Ninth, John from Cincinnati , New York Police Blues, Hill Street Blues) et diffusée entre 2004 et 2006 sur HBO, Deadwood fut interrompue au bout de trois saisons en raison de coûts financiers trop importants. L’action se déroule à la fin des années 1870, dans la petite ville de Deadwood (Dakota du Sud), colonie sans foi ni loi où se retrouvent tous ceux que la fièvre de l’or a attiré dans les Black Hills.

Comme l’explique Marjolaine Boutet, Deadwood a révolutionné le western en parvenant à s’extraire du genre pour donner une illustration bien plus riche de la conquête de l’Ouest que celles auxquelles nous étions habitués. Outre un langage très libre et des personnages complexes, Deadwood est avant tout une fascinante peinture de la société humaine juste avant l’arrivée de l’Etat et de la loi, et tente d’analyser la façon dont ses habitants vont négocier leurs rapports entre eux, et à un environnement qui change - physiquement mais aussi au niveau du cadre légal -. La série de David Milch nous montre des personnages exclusivement motivés par la recherche de l’argent comme source de pouvoir, et par la violence comme seul moyen de régler leurs différends en l’absence de loi. Elle traite des rapports troubles entre l’argent, le pouvoir et la violence, dans un cadre capitaliste finalement très actuel. Plus qu’une reconstitution historique, souligne Marjolaine Boutet, Deadwood est un conte philosophique.

Rome

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Créée par John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller et diffusée entre 2005 et 2007 sur HBO, Rome relate en deux saisons les événements qui ont entraîné la chute de la République romaine et la naissance de l’Empire. Du retour de Jules César en Gaule à la fin de son mandat de proconsul au suicide de Marc-Antoine et de Cléopâtre en Egypte, Rome reconstitue avec brio la grande Histoire et parvient à surprendre malgré l’absence de suspense : si les événements qu’elle évoque sont connus de tous, aucun n’est amené de la manière attendue, de la traversée du Rubicon comme un simple petit ruisseau, sans discours ni grandes effusions, à l’assassinat de Jules César exempt du célèbre “Tu quoque, mi fili”. A contrario, Rome revient sur certaines aspects habituellement gardés sous silence, comme les tendances sado-masochistes d’Octave ou opiomanes de Cléopâtre. Coproduite par la BBC, Rome pouvait difficilement exister sur une autre chaîne que HBO, que ce soit par la représentation explicite des relations sexuelles, par l’illustration d’actes de violence très sanglants, mais aussi par le questionnement qu’elle porte en elle : que reste-t-il de la société humaine lorsqu’on en retire la morale judéo-chrétienne, qui délimite les territoires du Bien et du Mal ? Rome s’inscrit ainsi dans la droite lignée de Deadwood, qui interroge ce qu’il advient de cette même société humaine lorsqu’on en retire l’Etat et la Loi, souligne Marjolaine Boutet. Remarquable mise en scène de la petite histoire contre la grande Histoire, peuplée de personnages féminins exceptionnels qui contribuent à son ancrage très moderne, Rome, tout comme Deadwood, cherche à dépoussiérer les mythes pour mieux comprendre le présent. Dès lors, on comprend que sa quête se situe du côté de l’authenticité davantage que de l’exactitude.

John Adams

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Mini-série biographique retraçant le parcours de l’un des Pères Fondateurs, de son entrée dans la vie politique à sa mort en 1826, John Adams est une adaptation du livre éponyme de David McCullough, dont les sept épisodes furent diffusés sur HBO courant 2008. Aucune voix off explicative, narration construite sur de nombreuses ellipses : John Adams n’est pas dans une démarche pédagogique, mais affiche une volonté très claire d’embarquer le spectateur. Personnage très complexe et ambivalent, assez caractéristique des séries HBO, John Adams deviendra l’un des principaux défenseurs de l’indépendance des Etats-Unis, et l’un des principaux rédacteurs de la Déclaration d’Indépendance. La série dépasse toutefois la simple démarche biographique, et s’interroge là encore sur la naissance de l’Etat, illustrant les rapports entre loi et pouvoir, entre légalité et légitimité.

La guerre selon HBO : Band of Brothers et The Pacific

Autre grand “moteur” de l’Histoire, la guerre est représentée et questionnée dans deux mini-séries HBO : Band of Brothers et The Pacific. Toutes deux produites par Steven Spielberg et Tom Hanks, elles reposent sur une même démarche, illustrée dès leur introduction par un montage d’interviews de vétérans de la seconde Guerre Mondiale : alors que Generation Kill proposait d’analyser les motivations de la guerre, Band of Brothers et The Pacific évacuent la question du pourquoi de la guerre pour se concentrer sur l’expérience des soldats.

Band of Brothers

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Créée par Tom Hanks et Steven Spielberg d’après l’ouvrage éponyme de Stephen E. Ambrose, Band of Brothers, mini-série de 10 épisodes, fut diffusée entre septembre et novembre 2001 sur HBO. Elle retrace l’histoire des soldats de la Easy Company depuis leur formation en 1942 jusqu’à la libération de l’Allemagne Nazie en 1945.

Récit collectif qui met l’accent sur les cartes, la stratégie, la hiérarchie militaire, la logistique et l’importance des communications, Band of Brothers repose sur un procédé narratif très choquant, chaque épisode étant construit autour d’un personnage sur le point d’être tué. Marjolaine Boutet, qui rappelle que le pilote de Band of Brothers fut diffusé deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001, explique en partie la chute importante de l’audience par le fait que la série est alors apparue comme assez anachronique au regard de l’actualité américaine.

The Pacific

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Près de dix ans plus tard fut diffusé le second volet, The Pacific, produit par la même équipe mais centré cette fois-ci sur l’engagement du corps des Marines dans le Pacifique.

Construite autour de trois Marines ayant existé et connus du public américain, The Pacific n’est pas un récit collectif et pédagogique comme l’était Band of Brothers, mais un récit fragmenté et individuel ; les différents personnages se croisent rarement, la camaraderie et la solidarité sont quasiment absentes du récit, l’action bascule sans cesse du front à l’arrière et d’un combat à l’autre : tout contribue à donner au spectateur un sentiment de flou général et de morcellement. A l’image du premier épisode, dans lequel rien ne se passe jusqu’aux sept dernières minutes, The Pacific parvient à nous faire éprouver l’ennui du combat, la fatigue, mais aussi la violence des corps à corps et l’atrocité des crimes de guerre. Autant Band of Brothers, souligne Marjolaine Boutet, regorge de bons sentiments et insiste sur la solidarité entre les soldats, autant The Pacific s’aligne sur le témoignage de tous les vétérans et démontre sans détour que le seul objectif était alors de tuer le maximum de “Japs”, sans jamais occulter la dimension raciste du conflit.

Mais étrangement, au milieu de toute cette violence, s’étonne Marjolaine Boutet, The Pacific se perd soudain dans de grandes respirations romantiques, au cours de scènes presque mièvres et pleines d’emphase. Un contraste pour le moins destabilisant, qui illustre selon elle la quête d’identité actuelle de HBO. The Pacific, aussi ambitieuse sur le plan de la narration qu’inégale dans son propos, fut mal reçue et très peu regardée aux Etats-Unis.

Et Marjolaine Boutet de conclure son intervention et ces deux journées d’étude passionnantes en soulignant que la meilleure fiction historique actuelle selon elle, Mad Men, n’était pas diffusée sur HBO, mais sur AMC

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