samedi 6 novembre 2010

Deadwood : naissance d'une société

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Deadwood, 1876. En plein coeur des Black Hills, territoire officiellement reconnu comme propriété des Sioux Lakotas par le Traité de Fort Laramie en 1868, la confirmation par le général George Armstrong Custer de la présence de gisements aurifères va changer le cours de l’histoire. L’arrivée massive de chercheurs d’or, que les autorités américaines tenteront mollement d’endiguer avant d’essayer de racheter le territoire aux Sioux, puis de les en chasser par la force, aboutira en 1876 à la Guerre des Black Hills. La bataille de Little Big Horne, ou Custer’s Last Stand, point culminant de cette guerre, sera une véritable boucherie au cours de laquelle plus de 400 hommes – tant du côté indien que du côté américain - trouveront la mort, dont le général Custer lui-même. Episode marquant de la culture américaine et profondément inscrit dans l’inconscient collectif du pays, la bataille de Little Big Horne est aujourd’hui encore constamment commentée, objet de plus d’un millier de livres par an et de nombreux films : La Charge fantastique, Fort Apache et Little Big Man en sont les exemples les plus connus.

La première saison de Deadwood débute quelques jours seulement après la bataille de juin 1876, au sein de ce qui n’est alors pas encore une ville mais un simple campement de chercheurs d’or. Fondée illégalement sur un territoire concédé aux Lakotas par le gouvernement américain, Deadwood se développe hors de toute législation et n’est alors régie que par un seul principe, justifiant la présence de chacun de ses habitants : le profit. Principal fondement d’une ville qui deviendra célèbre pour ses bandits-manchots et ses prostituées, l’argent est à Deadwood la clé du pouvoir et l’unique fin justifiant tous les moyens : violence, meurtres, coups bas et trahisons de toutes sortes, la seule loi en vigueur est alors celle du plus fort.

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Portée par un vivier de personnages forts en gueule et brillamment interprétés, la série de David Milch (l’un des créateurs de NYPD Blue) explore les méandres de la naissance d’une nation et d’une civilisation, observe à la loupe les rapports entre individu et société et décortique les notions de loi, d’ordre et de morale. Deadwood est moins une reconstitution historique – bien qu’elle soit à ce niveau totalement convaincante - qu’une étude des tréfonds de la nature humaine. A ce titre, la figure d’Al Swearengen (incarné par Ian McShane) est un véritable cas d’école : patron du saloon « le Gem », proxénète, truand et néanmoins homme le plus puissant de la ville, Swearengen est un des plus beaux salopards que la télévision nous ait offert ces dernières années, tout en nuances et en contradictions ; les figures historiques de Calamity Jane (incroyable Robin Weigert), Wild Bill Hickok (Keith Carradine, Frank Kundy dans Dexter) et Seth Bullock (Timothy Olyphant, Wes Krulik dans Damages) sont entourées de personnages fictifs mais tout aussi indispensables à l’équilibre de la série. Notons entre autres la présence de deux excellentes actrices : Anna Gun, incarnant ici Martha Bullock, l’épouse de Seth, n’est autre que Madame Skyler White dans Breaking Bad ; quant à Kim Dickens, la mystérieuse Joannie Stubbs, elle joue actuellement le personnage de Jeannette DeSautel dans Treme.

Plus de trente ans après la fin de la grande période des westerns à la télévision, très présents sur le petit écran entre 1955 et 1975 (une vingtaine de séries westerns par semaine en 1960), Deadwood dépoussière un genre jusque là principalement voué à la glorification du patriotisme et des valeurs américaines. Au nom de la loi (en anglais Wanted : Dead or Alive, qui lança la carrière cinématographique de Steve McQueen), Rawhide (qui lança celle de Clint Eastwood), Bonanza, Les Mystères de l’Ouest, Gunsmoke, ou les très moralisatrices Dr Quinn, femme médecin et La Petite Maison dans la Prairie : aucune ne s’était attelée comme Deadwood à l’exploration de la noirceur de ce pan de l’histoire américaine. Une des grandes forces de la série de David Milch est de parvenir à donner un écho très actuel à toute ces réflexions philosophiques, économiques et politiques, pourtant inscrites dans un contexte historique très précis.

Malgré de très nombreuses protestations, HBO décida en 2006 de ne pas renouveler la série pour une quatrième et dernière saison, invoquant des coûts de production trop importants. Le projet de deux téléfilms conclusifs ne vit, lui non plus, jamais le jour, condamnant Deadwood à ne jamais clôre son intrigue. « It’s not television, it’s HBO », clame le slogan de la chaîne ; il semble malheureusement que la Rolls du paysage télévisuel américain ne fasse pas exception à la règle du profit.

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