samedi 6 novembre 2010

Héroïnes et super-héroïnes dans les séries

Chose promise, chose due : God Save My Screen s’attelle cet été à la représentation des femmes dans les séries télé, et vous propose aujourd’hui un petit détour du côté des héroïnes et super-héroïnes. Qu’elles soient dotées ou non de pouvoirs surnaturels, toutes ont en commun de combattre le Mal sous diverses formes ; espionnes, élues, sorcières ou agents secrets, rien ne résiste à ces femmes d’action hors normes. Comment sont-elles représentées dans les séries, et quelles évolutions ont-elles connues en 50 ans de télévision ?

L’avant-garde : Chapeau Melon et Bottes de Cuir (The Avengers)

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Créée par Sydney Newman et Leonard White en 1961, Chapeau Melon et Bottes de Cuir fut la première série à introduire une héroïne féminine œuvrant d’égal à égal avec son partenaire masculin. Dès la troisième saison (1962), l’élégant John Steed aura en effet pour unique partenaire une femme : si dès l’apparition de Cathy Gale producteurs et scénaristes avaient saisi les avantages commerciaux et artistiques liés à un personnage féminin fort, leur audace ne s’exprima pleinement qu’avec l’arrivée de la belle Emma Peel (1965), qui marqua à jamais la mémoire populaire.

Intelligente et sexy (elle doit son nom à la contraction de « man appeal » en « M appeal »), la nouvelle partenaire de John Steed n’a rien à lui envier en terme de courage et de sagacité ; personnage complexe qui ne cessera de s’enrichir au cours des cinquante épisodes dans lesquels elle figure, elle passe outre les convenances de l’époque par son indépendance farouche et sa sexualité « libérée » : si la nature de ses relations avec Steed ne fut jamais dévoilée, l’ambiguïté fut savamment entretenue par les scénaristes au cours de ces quatrième et cinquième saisons. Veuve d’un pilote d’essai disparu en Amazonie, Emma Peel n’a fait le deuil ni de sa féminité ni de sa combativité, ses combinaisons en cuir ne l’empêchant nullement de voler au secours de John Steed aussi souvent que nécessaire.

L’héritage de Chapeau Melon et Bottes de Cuir fut multiple : si la formule du duo mixte traversa les âges, de Loïs et Clark à X-Files en passant par Clair de Lune, la figure des « Avengers Girls » (ainsi que l’on désigna par la suite les trois partenaires successives de John Steed) engendra également toute une lignée d’héroïnes libérées du joug masculin (Buffy, les soeurs Halliwell dans Charmed ou encore Sidney Bristow dans Alias).

Un pas en arrière : les héroïnes au service des hommes

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Si Chapeau Melon et Bottes de Cuir a ouvert la porte des séries aux grandes héroïnes féminines, les années 70 signent le retour des femmes d’action… au service des hommes.

La plus mythique de toutes, Wonder Woman (1975-1979), adaptée du comic de William Moulton Marston paru en 1941 dans All Star Comics, met en scène l’une des premières super-héroïnes, qui n’a toutefois d’autre raison d’être que les services qu’elle rend à son employeur. Le pitch parle de lui-même : le Major Steve Trevor, dont l’avion s’est écrasé sur une île perdue au milieu du Triangle des Bermudes, est retrouvé inconscient par la princesse Diana, fille de la Reine des Amazones. Tombée sous le charme, celle-ci se charge de le ramener dans son pays d’origine, se faisant engager à ses côtés comme secrétaire particulière afin de veiller sur lui. Et lorsqu’elle enfile sa tenue de Wonder Woman, ce n’est que pour mieux lui venir en aide lors de ses délicates missions…

Super Jaimie, quant à elle (The Bionic Woman, 1976-1978), est une pure création de son compagnon : gravement blessée à la suite d’un saut en parachute, Jaimie Sommers, alors championne de tennis, est entre la vie et la mort ; refusant de perdre la femme qu’il a tant aimée, Steve Austin fait appel à deux de ses amis, Oscar Goldman et Rudy Wells, pour la transformer en femme bionique : affublée d’une oreille, de jambes et d’un bras super-puissants, la jeune femme revient à la vie… totalement amnésique. Devenue enseignante, elle mène parallèlement des activités d’espionne au sein de l’O.S.I (Office of Scientific Information) ; là encore, ses super-pouvoirs sont au service d’un homme, Oscar Goldman, qui lui confie diverses missions.

Les Drôles de Dames (Charlie’s Angels, 1976-1981) n’échappent pas à la règle des seventies : toutes belles, intelligentes, courageuses et indépendantes qu’elles soient, les trois jeunes femmes mènent de délicates enquêtes pour le compte de leur patron, Charlie Townsend, relayé sur le terrain par le gestionnaire des comptes de l’agence de détectives privés, Bosley.

Les héroïnes ne se sont pas encore totalement émancipées…

Girl Power : quand Buffy bouleverse l’ordre établi

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C’est finalement une blondinette de seize ans qui va changer la donne : Buffy Summers, élue entre toutes pour combattre les forces du Mal, manie les armes mieux qu’aucun homme et refuse rapidement de se soumettre à une quelconque autorité. Si la série de Joss Whedon apparaît au début comme un teen-age show aussi plaisant qu’inconsistant, elle se complexifie au cours des saisons, accompagnant le passage à l’âge adulte de Buffy et de ses compagnons de route : sexualité, dépression, deuil, maladie, Buffy contre les Vampires (1997-2003) est une formidable étude sur l’adolescence et… un manifeste féministe.

Entourée de femmes fortes – la puissante sorcière Willow, qui découvrira son homosexualité au fil des saisons, le démon Anya, âgé de 1200 ans, la Tueuse Faith ou encore Dawn, l’énergique petite soeur -, Buffy grandit dans une famille désertée par les hommes : fille unique d’un père absent, elle ira jusqu’à tuer son beau-père incestueux (lequel était en réalité un robot démoniaque), et s’oppose violemment au proviseur du lycée de Sunnydale, homme rigide et détestable. Quant à Alex (l’un de ses plus fidèles amis) et Giles (son Observateur, sorte de référent dans son parcours initiatique), ils sont tous deux représentés comme timorés et maladroits.

De simplement allusif, le propos se fera ouvertement féministe au cours des années, prenant toute son ampleur dans la septième et dernière saison. Le 21e épisode est on ne peut plus explicite, Buffy s’adressant en ces termes à toutes les « Tueuses Potentielles » : « A partir de maintenant toutes les Tueuses Potentielles qui attendent de par le monde deviendront des Tueuses. Toutes les filles qui attendent d’avoir le pouvoir auront ce pouvoir. Celles qui étaient soumises résisteront enfin. Des Tueuses, chacune d’entre nous. Faites un premier pas : êtes-vous prêtes à être fortes ? »

La figure féminine forte et indépendante inaugurée par Joss Whedon marquera les esprits, et aura une influence certaine sur la production des années 2000 : les soeurs Halliwell (Charmed, 1998-2006) s’inscrivent indéniablement dans la même lignée – du moins dans les trois premières saisons -, sorcières puissantes et femmes indépendantes qui ne conçoivent les hommes que comme des accessoires à caractère sexuel ; Sidney Bristow (Alias, 2001-2006), espionne surdouée et surentraînée, doit elle aussi beaucoup au personnage de Buffy Summers.

De simples faire-valoirs des hommes aux femmes fortes et indépendantes d’aujourd’hui, les (super) héroïnes s’émancipent aussi ; il est toutefois intéressant de constater que la progression fut loin d’être linéaire, et qu’une série des années 60 – mais quelle série ! - fit preuve de plus d’audace que nombre de ses successeurs. (Au fait, à quand un féminin de « successeur »…?)

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