Les États-Unis ont HBO. La Grande-Bretagne, elle, a Channel 4. S’il n’y a pas de comparaison possible au niveau de la structure et du fonctionnement de ces deux chaînes – HBO étant une chaîne câblée à péage et Channel 4 une chaîne privée rattachée au service public -, on retrouve bien dans les deux cas des programmes de qualité et un véritable esprit novateur. C’est même une des missions de Channel 4, qui s’est notamment engagée à soutenir « l’innovation, l’expérience et la créativité dans la forme et le contenu de ses programmes ». Elle permet régulièrement, dans le domaine de la fiction en général et des séries en particulier, à de jeunes auteurs de financer et de réaliser leurs projets. Structure privée ne recevant aucune subvention publique, c’est pourtant aux pouvoirs publics qu’elle doit son existence. Investir une chaîne privée d’une mission de service public est par ailleurs une première mondiale.
Cast Offs – les exclus en français – est née d’une interrogation de la personne en charge du handicap au sein de la chaîne Channel 4. Le sujet, habituellement évoqué dans des documentaires confidentiels programmés à des heures tardives, peinait à rassembler plus d’une poignée de téléspectateurs à chaque diffusion. C’est tout naturellement – une démarche difficilement imaginable en France – que cette personne est allée voir les responsables de la section fiction, leur demandant si la question du handicap n’aurait pas un plus grand retentissement au sein, par exemple, d’une série télévisée.
Créée par Jack Thorne, Cast Offs s’est principalement développée autour de ses acteurs, le scénario – écrit en partie par eux – se tissant autour de leur handicap. Le concept est aussi simple que politiquement incorrect : six personnes, handicapées moteur, décident de participer à une émission de télé-réalité et se retrouvent sur une île déserte pendant plusieurs semaines. La série reprend les codes de ce type de programme, et mêle les séquences sur l’île et les flashbacks de présentation des personnages, filmés en amont pendant la préparation de l’émission. Chaque épisode dure 45 minutes et met en lumière un des six « survivants ». On y découvre ainsi tour à tour Dan, paraplégique depuis peu suite à un accident de voiture ; April, atteinte de chérubinisme, une maladie qui provoque d’impressionnantes malformations du visage ; Carrie, naine et néanmoins grande gueule ; Tom, aveugle ; Gabriella, sourde, qui parvient à lire sur les lèvres, et enfin Will, atteint de phocomélie provoquant une atrophie des membres supérieurs.
Le résultat est à des milliers de kilomètres de la compassion feinte, de la curiosité malsaine et du pathos. Contrairement à ce qu’imaginent parfois les valides, le ton n’est pas toujours tendre entre les personnes handicapées, et les vannes fusent entre les personnages : Gabrielle, sourde, se plaint sans cesse de ne pouvoir lire sur les lèvres de Carrie, naine, à cause de sa trop petite bouche ; Tom, aveugle, est en charge du fusil de chasse, et aucun d’entre eux n’a de scrupules à laisser Dan, paraplégique, le cul dans l’eau gelée lors d’un bain de minuit… L’île est un environnement hostile, où chacun va devoir compter sur la force et la présence de l’autre ; elle est aussi une transposition de notre propre monde, souvent guère plus adapté aux personnes handicapées.
Alors certes, on pourra reprocher un certain nombre de choses à Cast Offs. Les plans rapprochés sur April et son visage déformé par la maladie ne manqueront pas de choquer et d’alimenter le débat : volonté de sensibilisation ou regard déplacé et voyeur ? Il n’y a pour moi aucun désir de sensationnel dans cette démarche, mais bel et bien l’envie d’aller gratter quelque part au-delà du tabou et de la bienséance, là où la télévision française ne parvient pour l’heure qu’à lisser toute différence et toute aspérité. Il fallait de l’audace pour proposer une telle série, et du talent pour la rendre juste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire