samedi 6 novembre 2010

Les séries HBO : Dream On (journée d'étude du 8 juin 2010)

Deuxième et dernière journée d’étude sur les séries HBO, cette fois-ci analysées comme illustrations d’une “Amérique en crises”, via leurs enjeux moraux, historiques et esthétiques.

La matinée était consacrée aux séries HBO désormais considérées comme “classiques”, les différents intervenants s’attachant à démontrer en quoi Dream On, Oz, Six Feet Under ou encore The Wire ont traduit en leur temps certains changements de perception morale.

Au vu du nombre d’interventions (neuf au total) que comptait cette journée, de leur densité et de leur intérêt, il m’est apparu impossible et réducteur de les synthétiser en un seul billet. Au cours des jours prochains, God Save My Screen vous proposera donc un billet par intervention. Le programme sera le suivant : après la série Dream On, présentée par Vincent Colonna et Marc Cerisuelo, vous retrouverez Oz (par Séverine Barthes), Six Feet Under (par Emmanuel Halais), The Wire (par Sandra Laugier), True Blood (par Paola Marrati), John from Cincinnati (par Tristan Garcia), Generation Kill (par Thibaut de Saint Maurice), Carnivàle (par Jean du Verger), pour finir par une intervention de Marjolaine Boutet sur “l’histoire selon HBO” à travers l’étude croisée de cinq séries : Deadwood, Rome, John Adams, Band of Brothers et The Pacific.

Les textes ici présentés sont des synthèses de ces interventions ; il ne s’agit pas de retranscriptions exactes, mais les idées développées sont néanmoins propriété de leurs auteurs.

Dream On, par Vincent Colonna et Marc Cerisuelo

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1990-1996 / 6 saisons / créée par David Krane et Marta Kauffman / comédie

Martin Tupper, trentenaire, travaille dans une maison d’édition spécialisée dans les romans à l’eau de rose. Récemment séparé de sa femme Judith, avec laquelle il partage la garde de leur fils Jeremy, Martin redécouvre les plaisirs de la vie de célibataire et multiplie les conquêtes, tout en continuant à espérer une réconciliation avec Judith. Martin, qui comme l’illustre le générique, a véritablement grandi devant (et avec) la télévision, est régulièrement assailli par des réminiscences de films et de séries des années 50 (principalement), ces flashs étant utilisés pour illustrer ses pensées.

L’exposé débute par l’intervention de Vincent Colonna, qui replace la série dans le contexte télévisuel des années 90 : alors que Dream On parlait de sexe sans aucune retenue, ABC diffusait à la même période Quoi de neuf, docteur ? (Growing Pains), comédie qui s’inscrivait dans le courant télévisuel majoritaire de l’époque : politiquement très correcte, repliée sur une bulle familiale au sein de laquelle les personnages ne rencontraient que des difficultés très légères, amenées à se résoudre au cours de l’épisode. Ainsi, lorsque le fils Seaver, dans Quoi de neuf, docteur ?, se retrouve au volant de la voiture de son père alors qu’il n’a pas le permis, finissant la promenade en prison, une dizaine de minutes d’épisode suffisent à l’en libérer et à solutionner tous les problèmes ; en revanche lorsque Nina, la petite amie de Martin dans Dream On, militante écolo partisane des actions violentes, prend dix ans de prison, elle purge sa peine et n’a d’autre solution que de faire le deuil de sa relation avec Martin, la comédie n’hésitant pas là à introduire un élément dramatique et à prendre le contrepied des habituels dénouements heureux.

C’est à partir des années 90 que les comédies (pures sitcoms ou comédies plus élaborées, filmées avec une seule caméra et comportant des scènes en extérieur, comme c’est le cas avec Dream On) commencent à se faire nettement plus subversives (Mariés, deux enfants, Les Simpson) même si le mouvement a en réalité été initié depuis les années 70 (All in the Family en 1971, M.A.S.H et Maude en 1972). Dream On est également, selon Vincent Colonna, la première série comique à citer la télévision (notamment à travers le générique, montrant Martin rivé au poste de télévision à différents âges) et la culture populaire en général (le héros travaille dans une maison d’édition spécialisée dans les romans à l’eau de rose), les citations et références les plus directes étant les innombrables extraits de films et de séries des années 50 et 60, utilisés pour illustrer les pensées de Martin. Dream On fait donc preuve d’une grande inventivité formelle, et a ouvert la voie (même si elle ne les a pas inventés) à des procédés narratifs originaux employés plus tard dans des séries comme How I Met Your Mother ou Malcolm ; Malcolm utilisait notamment les adresses directes au spectateur et les regards face caméra, n’hésitant pas à briser ce que l’on appelle au théâtre le “quatrième mur”.

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Vincent Colonna conclue son intervention sur un constat et une question : on peine souvent selon lui, dans Dream On, à saisir le lien logique entre les différents récits dans le récit, l’épisode débutant par une histoire et dérivant brutalement vers une autre sans que l’on en comprenne les enjeux ; s’agit-il d’une intention délibérée de briser les codes traditionnels du sitcom, ou d’une simple maladresse narrative ?

Marc Cerisuelo, lui, est convaincu qu’il s’agit d’une intention délibérée de la part des auteurs de la série, qui deviendront par la suite les créateurs de Friends. Il s’attarde tout d’abord sur les extraits de films et de séries des années 50, qui installent un décalage comique entre l’action et les pensées de Martin, et confrontent le réel à un âge d’or révolu. L’utilisation de ces extraits, tous tirés du “stock” de vidéos d’Universal, relève d’un procédé que l’on nomme le “catalogue picture”, et qui consiste à puiser dans le stock d’images d’un même studio. L’effet de répétition provoqué par ces vidéos crée une attente chez le spectateur, qui espère voir un certain type d’extrait associé à une certaine pensée du héros.

Marc Cerisuelo aborde ensuite Dream On sous l’angle de la “comédie de remariage”, ce genre cinématographique inventé entre 1930 et 1940, avec des récits dont l’enjeu n’était plus, comme dans la comédie classique, de former un couple mais de le re-former, de le réconcilier après une séparation. C’est l’un des enjeux principaux de Dream On, Martin n’ayant pas renoncé à son ex-femme, et c’est également le cas dans Californication, Hank Moody étant séparé de la mère de sa fille de 13 ans. Un genre cinématographique qui serait ici transposé la série télé, à un détail près : famille moderne oblige, les couples séparés ont aujourd’hui des enfants.

Marc Cerisuelo conclue en rappelant que la comédie et le sitcom sont devenues le “laboratoire de certaines transgressions narratives”, de certaines évolutions de construction et de propos, qui sont ensuite appliquées au drama.

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