samedi 6 novembre 2010

Hommes, femmes, mode d'emploi de la télévision

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Si les personnages féminins n’ont cessé d’évoluer ces vingt dernières années, gagnant progressivement en indépendance, en reconnaissance et en liberté – que ce soit sur le plan familial, conjugal, social ou professionnel -, il m’a semblé intéressant de trouver, pour quelques grandes figures masculines (prisonniers, flics, psys, médiums, dragueurs, présidents, etc) leur alter ego féminin. Quelles sont les ressemblances entre Jim Profit (Profit) et Patty Hewes (Damages) ? Qu’est-ce qui sépare Nancy Botwin (Weeds) de Walter White (Breaking Bad) ? Lila est-elle vraiment l’alter ego de Dexter ? God Save My Screen vous propose quelques pistes de réflexion…

24 et la figure du Président : de David Palmer à Allison Taylor

24h1.1288217641.jpgSénateur démocrate du Maryland avant d’être élu président, David Palmer est dans 24 le premier afro-américain à accéder à la Maison Blanche, préfigurant pour beaucoup l’élection de Barack Obama ; intègre, honnête, et très concerné par le bien-être de ses citoyens, Palmer a tout du politicien idéal. Sur le point de dénoncer un espion infiltré au sein du gouvernement, Palmer sera finalement assassiné au cours du premier épisode de la cinquième saison.

Si 24 s’ouvre sur l’élection du premier Noir à la présidence des Etats-Unis, elle s’achève - saisons 7 et 8 - peu après l’accession de la première femme à la Maison Blanche : la boucle est bouclée, et Allison Taylor, dont on ne connaîtra jamais l’appartenance politique – à l’image de tous les autres présidents de 24, Palmer étant la seule exception à cette « règle » -, s’inscrit dans la lignée de David Palmer. « Il est temps de revenir à un président idéalisé », déclarera Howard Gordon, producteur exécutif de la série. Outre leur sens de l’honneur et de la loyauté, Palmer et Taylor ont en commun leur appartenance à une « minorité », sous-représentée au sein des instances gouvernantes ; il faut croire que leur couleur de peau et leur sexe devaient nécessairement être compensés par leur incroyable intégrité…

Jim Profit (Profit) vs Patty Hewes (Damages)

damages2.1288217685.jpgCréée en 1996 par David Greenwalt et John McNamara, Profit fut probablement aussi courte que subversive : lancée en avril 1996 sur la Fox, qui ne diffusa que quatre épisodes sur huit, la série met en scène le personnage de Jim Profit (Adrian Pasdar), employé dévoué de la multinationale Gracen & Gracen qui, soudainement promu au sein du conseil d’administration de l’entreprise, est appelé à remplacer un cadre décédé dans des circonstances étranges. Si chez Gracen & Gracen, la fin justifie les moyens, Jim Profit va pousser le principe à l’extrême : véritable psychopathe prêt à tout pour gravir les échelons de la boîte, il manipule, calomnie, harcèle et détruit tout ce qui se met en travers de son chemin, n’hésitant pas à fouiller dans la vie privée des employés de G & G pour mieux exploiter leurs blessures et leurs secrets. Véritable monstre d’intelligence et de perversité, Jim Profit donne toute sa force à une série qui s’attaquera sans faillir à un certain nombre de tabous : inceste, homosexualité, parricide, pédophilie, Profit n’a peur de rien, et surtout pas du scandale.

De son côté, Patty Hewes (Damages), à la tête du cabinet d’avocats le plus puissant de New York, n’a à priori pas franchement à rougir de la comparaison : experte ès mensonges, menaces et chantages en tout genre, capable de colères glaçantes et de coups bas inimaginables, elle atteint dès le pilote un degré de machiavélisme tel qu’elle parviendrait presque à faire passer Jim Profit pour un enfant de chœur… à ceci près que Patty Hewes n’est pas nécessairement le monstre qu’elle paraît être, et que les scénaristes s’empressent de nous le faire comprendre : après avoir mis sur pied les pires manigances, Patty s’humanise à la fin de la première saison, dévoilant une blessure du passé – la perte d’un enfant – et une certaine capacité à éprouver de la compassion et du remords. Comme si, malgré tout, il existait pour les personnages féminins, davantage que pour les personnages masculins, une limite à ne pas franchir.

Walter White (Breaking Bad) vs Nancy Botwin (Weeds)

weeds3.1288217744.jpgJe ne peux m’empêcher de constater cette même différence de traitement entre personnage masculin et féminin avec le « cas » Nancy Botwin / Walter White. Même s’il est clair que l’ambition de départ n’est pas la même, entre ce qui se veut une dramédie d’un côté, légère et perdant malheureusement de son sel à partir de la quatrième saison, et de l’autre côté un drama ambitieux et parfaitement maîtrisé, dont le mot d’ordre est « Go big or go home », difficile de ne pas s’interroger sur les parcours respectifs de leurs personnages principaux.

Tandis que Walter White franchit toutes les limites imposées par la loi et la morale, et se transforme peu à peu, à l’annonce de sa maladie, en fabriquant de métamphétamine, Nancy Botwin se cantonne au trafic d’herbe dans le voisinage de sa banlieue huppée. Si tous deux ont pour objectif, du moins au début, de subvenir aux besoins de leur famille, les actes de Walter White ne pourront pas longtemps être justifiés par cet argument altruiste. Le héros de Breaking Bad aurait-il réellement pu être incarné par un personnage féminin ? Un personnage s’éloignant de sa famille pour s’enfoncer dans le trafic de drogue dure ? Reste que Weeds, du moins dans ses trois premières saisons, propose un regard plutôt grinçant et intéressant sur la banlieue chic et les classes supérieures, tandis que Breaking Bad s’attache finalement moins à décrire les tourments de la classe moyenne que la profonde transformation d’un personnage.

Prison d’hommes (Oz) vs prison de femmes (Capadocia)

capadocia4.1288217781.jpgOn se souvient tous de Oz, drame carcéral créé par Tom Fontana (Homicide, St Elsewhere) et diffusé sur HBO entre 1997 et 2003. Pour ceux qui seraient passés à côté, Oz mettait en scène la vie quotidienne des détenus au sein du quartier pénitentiaire expérimental Emerald City, unité pilote administrée par Tim Mc Manus dans le but d’améliorer les conditions de vie des prisonniers, au sein de la prison de haute sécurité Oswald State Penitenciary.

Capadocia, produite par HBO Latin America, est une série mexicaine qui n’a rien à envier à Oz en terme de violence et de critique sociale et d’engagement politique. La différence ? Capadocia est une prison pour femmes, pénitencier expérimental là aussi, mis en place par des politiciens corrompus pour des raisons bien moins nobles que celles de Tim Mc Manus : disposer d’une main d’oeuvre bon marché, corvéable à merci et dépourvue de tout moyen de protestation. Des politiciens qui n’hésiteront pas à déclencher une émeute pour accélérer le processus de privatisation de la prison, et qui fera 18 morts. Un discours brut, sans détour, pour une série au casting en grande majorité féminin.

Paul Weston (In Treatment) vs Jennifer Melfi (Les Soprano)

soprano5.1288217822.jpgInterprété par l’irlandais Gabriel Byrne, Paul Weston est un psy en proie au doute, à la colère, au désir et à la lassitude : (presque) toujours calme en apparence, le Dr Weston se libère le vendredi, quand vient son tour de consulter son propre analyste. Un psy montré sous un jour humain et relativement réaliste, bien qu’employant des méthodes parfois un peu moins conventionnelles que celles du Dr Jennifer Melfi, la psy de Tony Soprano. Plus silencieuse, plus distante, Melfi n’en est pas moins irrésistiblement attirée par son patient, qui provoque chez elle une fascination mêlée de terreur. Melfi restera sourde aux multiples injonctions de son entourage et de son propre psy, qui ne cesseront de lui demander de mettre fin à sa thérapie avec le parrain du New Jersey. Au point de se demander qui des deux, au final, aura le plus apporté à l’autre.

Angela’s Eyes, une « mentaliste » au féminin

angela6.1288217882.jpgJe ne m’attarderai pas sur cette série plutôt ratée, qui fut d’ailleurs annulée au bout de 13 épisodes. Angela’s Eyes, créée par Dan McDermott et diffusée en 2006 sur Lifetime, n’a d’intérêt que son pitch : la série met en scène Angela Hanson, une jeune femme qui, confrontée très tôt aux activités troubles de ses parents, est devenue avec les années un véritable détecteur de mensonges. Rien ne lui échappe, et tout est susceptible de vous trahir face à Angela, qui a mis ses talents au service du FBI. Ça ne vous rappelle rien ? Deux ans avant The Mentalist, trois ans avant Lie To Me, le succès ne fut pas au rendez-vous pour l’alter ego féminin de Patrick Jane et de Cal Lightman.

Impossible de citer tous les duos masculins / féminins construits sur le même modèle, ni toutes les séries reprenant un même concept en le faisant porter par un personnage du sexe opposé. On peut tout de même mentionner, à défaut de développer, les séries policières The Division et Women’s Murder Club, constituées de brigades entièrement féminines ; le duo formé par George (Dead Like Me) et Ned (Pushing Daisies), deux séries créées par Bryan Fuller et reprenant l’idée d’un personnage capable soit de recueillir les âmes des futurs morts, soit de les ramener à la vie (on pense également à Tru Calling) ; difficile de ne pas citer The L Word, et notamment le personnage de Shane, en parallèle avec Queer As Folk et le personnage de Brian, tous deux séducteurs patentés dans les « milieux » lesbien (The L Word) et gay (Queer As Folk) ; Dexter croisera le temps d’une saison son alter ego féminin en la personne de Lila, qui abrite elle aussi un « passager obscur » ; Nurse Jackie, infirmière aux méthodes peu conventionnelles, accro aux médicaments, peut difficilement ne pas faire penser à Gregory House ; quant aux séries Life On Mars et Ashes to Ashes (spin-off de la première), leur construction similaire – deux inspecteurs étrangement renvoyés dans le passé - met également en lumière l’opposition entre le personnage masculin (Life On Mars) et féminin (Ashes to Ashes).

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