samedi 6 novembre 2010

Les séries HBO : Generation Kill (journée d'étude du 8 juin 2010)

Generation Kill, embedded au coeur de la guerre juste, par Thibaut de Saint Maurice

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juillet-août 2008 / 7 épisodes / créée par David Simon et Ed Burns

Créée par David Simon et Ed Burns en 2008, juste après The Wire, Generation Kill est l’adaptation télévisuelle du récit d’Evan Wright, journaliste de Rolling Stone “embarqué” aux côtés de l’armée américaine durant les trois premières semaines de l’invasion de l’Irak, en 2003. Par son approche quasi documentaire, Generation Kill se rapproche de The Wire et de Band of Brothers : aucune censure n’a été pratiquée par HBO, la plupart des dialogues de la série sont des retranscriptions exactes des échanges notés par Evan Wright, certains des Marines présents lors de l’invasion ont joué leur propre rôle, tandis que tous les personnages, tous les noms et toutes les missions sont réels.

Generation Kill soulève la question de l’appréciation morale du conflit : cette guerre est-elle juste ou injuste ? L’objectif de ses créateurs : déconstruire un certain discours politique pour alerter l’opinion publique.

Thibaut de Saint Maurice revient sur les motifs alors évoqués par l’administration Bush pour justifier la guerre d’Irak : “vendue” comme une guerre préventive, l’Irak étant à l’époque supposé détenir des armes de destruction massive, la guerre représentait avant tout une réponse à une menace considérée comme intolérable pour les Etats-Unis et le reste du monde ; il s’agissait également, soit-disant, d’une guerre de légitime défense, et donc d’une contre-offensive après les attentats du 11 septembre, l’Irak étant supposée être une base arrière d’Al-Qaïda ; enfin, le gouvernement Bush affirma qu’il s’agissait d’une guerre au nom des droits de l’homme, invoquant la participation de Sadam Hussein au massacre de sa propre population.

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Deux positions philosophiques sont à éliminer, dans la question de l’appréciation morale de la guerre : la position dite “réaliste”, selon laquelle la guerre n’est ni juste ni injuste mais simplement un résultat logique et inévitable, et la position pacifiste, estimant que la guerre n’est ni morale ni immorale puisqu’elle est toujours injuste. Generation Kill ne retient aucune de ces hypothèses, et les élimine toutes les deux dès les premières minutes du pilote, dans une scène au cours de laquelle sont lus les courriers envoyés aux Marines par des enfants américains.

Le personnage du journaliste, véritable clé de l’appréciation morale du conflit, remplit la fonction du regard “candide” et extérieur à l’unité ; c’est lui qui rend possible l’évaluation morale de la guerre par le spectateur. Un personnage essentiellement silencieux, qui reprend à son compte le précepte “observe everything, admire nothing” et laisse à penser que Generation Kill n’est finalement pas une série “de guerre”, mais une série sur l’observation de la guerre. Le choix de l’acteur Lee Tergesen, qui incarnait Tobias Beecher dans Oz, est selon toute vraisemblance un clin d’oeil des scénaristes : le journaliste nous fait entrer dans la guerre comme Beecher nous faisait pénétrer dans l’univers carcéral.

Generation Kill souligne, selon Thibaud de Saint Maurice, la double injustice de la guerre d’Irak. D’un côté, l’injustice des raisons invoquées pour faire la guerre : l’argument humanitaire est balayé d’un revers de main, la série démontrant explicitement que les populations ne sont pas sauvées mais massacrées ; l’argument terroriste, basé sur une éventuelle implantation d’Al-Qaïda en Irak, est pris à revers, la série s’attachant à montrer que l’invasion américaine avait en réalité incité des étudiants à se diriger vers le terrorisme ; l’argument préventif, enfin, est réduit à néant par l’absence de toute arme de destruction massive. Generation Kill insiste également sur l’injustice des moyens employés pendant la guerre, et montre l’immense difficulté à mener un combat de manière juste : difficulté à distinguer combattants et civils, et difficulté à proportionner la riposte (à une attaque ennemie provoquant de légères blessures chez deux Marines, l’armée américaine répliquera par la destruction totale d’une ville irakienne). Generation Kill met également en cause la chaîne de commandement, interrogeant ouvertement la compétence ou l’incompétence des officiers.

Thibaut de Saint Maurice souligne en conclusion l’intérêt moral qu’il y a à regarder Generation Kill, une série donnant les moyens d’apprécier la morale de cette guerre en permettant au spectateur de faire son travail : observer. L’objectif n’est rien de moins qu’une prise de conscience de l’opinion publique, via un enrichissement de la culture militaire et politique du spectateur ; en lui donnant les clés d’une meilleure appréciation morale de la guerre, la démarche de Generation Kill est aussi claire que louable : éviter à l’avenir que de telles erreurs se reproduisent

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