samedi 6 novembre 2010

Les Soprano ou la mort de la Famille

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Commandée par la Fox au producteur et scénariste David Chase, « Les Soprano » fut finalement produite par la chaîne câblée HBO devant le scepticisme de la Fox à la lecture du pilote. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, « Les Soprano » devinrent en quelques mois seulement la série-phare de HBO, qui n’a depuis toujours pas réussi à lui trouver de successeur. Celle qui ne devait au départ compter qu’une saison fut reconduite par la chaîne devant l’énorme audience conquise en un temps record ; record qui n’aura de cesse d’être battu : 5 millions de téléspectateurs pour le dernier épisode de la première saison, 9 millions pour le dernier épisode de la deuxième saison, et plus de 13 millions pour le premier épisode de la quatrième saison… De quoi enrager sérieusement du côté de la Fox.

Et le public ne s’est pas trompé : 86 heures passées en compagnie de Tony Soprano pendant près de 10 ans ont largement achevé de convaincre les plus réticents de la très grande qualité de la série, devenue depuis une référence culturelle américaine de la même stature que Le Parrain.

Car Tony Soprano est bien un parrain, implanté dans la Mafia du New-Jersey et poursuivant sous sa couverture de « consultant en retraitement des déchets » le boulot commencé par son oncle Junior et son père décédé. Un parrain donc, également père de famille et mari infidèle, que ses angoisses oppressent au point qu’il décide un beau jour d’entamer une psychanalyse.

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Dans cette démarche d’analysant réside toute l’originalité des Soprano, dont l’action va dès lors se partager équitablement entre la vie de la Famille et la vie de famille : sans cesse ballotté entre un quotidien ordinaire jusqu’à l’étouffement et un rôle de parrain brutal et intransigeant, Tony étouffe et se cherche. Machiste, violent, raciste et totalement réactionnaire, il n’en devient pas moins attachant, en conflit permanent entre un criant besoin d’amour et une lutte impitoyable pour le pouvoir. La relation qui se noue avec sa psy est incroyablement dense et juste, aussi conflictuelle que nourrissante et toujours au bord de la rupture. De la même manière que « Donnie Brasco » nous donnait à voir un mafieux sur le déclin, embarqué malgré lui dans une vie dont il aimerait s’extraire, la série de David Chase puise sa grandeur et sa résonance dans ce point de rupture, que Tony côtoie dangereusement sans jamais sombrer totalement.

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« Les Soprano » explose les codes conventionnels de la narration télévisuelle pour s’approprier une démarche infiniment personnelle, décalée et d’une grande finesse. Il fallait oser aborder la crise de la quarantaine et le poids du quotidien sous l’angle de la Mafia ; il fallait également oser aborder la Mafia sous l’angle de la crise de la quarantaine et du poids du quotidien. Portée par une foule de personnages remarquablement justes et denses, enrichie d’une galerie de rôles féminins inédits dans les films de mafiosi, la série de David Chase est une incontestable réussite. A travers la dépression de Tony Soprano, c’est toute la fragilité de l’Amérique qui nous est donnée à voir. Et le spectacle est saisissant. Un chef d’oeuvre.

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