samedi 6 novembre 2010

La figure du psy dans les séries

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Psychiatres, psychologues, psychanalystes, thérapies courtes, de couple, de groupe… : nombreuses sont les séries télé qui intègrent à leur intrigue un personnage de thérapeute, régulier ou occasionnel. Mais si les années 2000 ont marqué l’apparition du psy comme possible figure centrale de la série (In Treatment, Huff, State Of Mind, Tell Me You Love Me, Head Case, Lie To Me), certaines avaient déjà exploré cette voie quelques années auparavant (The Bob Newhart Show, Sessions). Aujourd’hui, rares sont les séries dont les personnages ne sont pas amenés, à un moment ou à un autre, à livrer leurs tourments dans le secret d’un cabinet de psy.

Diffusée sur CBS de 1972 à 1978, The Bob Newhart Show fut la première série – à ma connaissance – à s’articuler autour de la figure centrale d’un psy , en l’occurrence celle de Robert Hartley (interprété par Bob Newhart), psychologue à Chicago. Partagée entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle, l’intrigue faisait la part belle à certains patients particulièrement perturbés, comme l’odieux et totalement névrosé Elliot Carlin (Jack Riley) ou le très introverti Emil Peterson (John Fiedler), vétéran de la Marine.

En 1991, Billy Cristal crée la série Sessions, diffusée sur HBO : en seulement six épisodes, Sessions met en place le personnage de Dan Carver, avocat quadragénaire soudain perturbé par d’étranges rêves ; persuadé que quelque chose ne tourne pas rond, il entreprend une psychanalyse avec le Docteur Bookman. De l’impuissance à la masturbation, en passant par la relation avec ses parents, sa femme et ses enfants, Sessions aborde la question de la « midlife crisis » sous l’angle de la comédie, et refuse de se limiter à un catalogue de névroses. Entre séquences déjantées et moments d’émotion, Sessions est brillamment interprétée (Elliott Gould dans le rôle du psy, Michael Mc Kean dans le rôle de Dan Carver), intelligemment écrite et, ce qui ne gâche rien, très drôle (à voir rien que pour la bande-son extraite de Psychose dans la scène où Dan Carver, fantasmant sur sa femme, découvre à sa place le visage de sa mère…)

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Puis vint l’incontournable, celle que l’on ne peut décemment ignorer lorsque l’on évoque les personnages de psys dans les séries télé : Les Soprano (1999-2007), créée par David Chase – qui a transposé ses propres démons dans ce qui restera probablement l’œuvre de sa vie -, réussit là où Mafia Blues avait échoué : donner de l’épaisseur et de la profondeur à la thérapie d’un Parrain de la Mafia. Chase lui-même s’amuse de la comparaison, et fait dire à Tony, lors d’une rencontre avec un psy qui ne le convainc pas : « Mafia Blues ? But it’s a fucking comedy ! » Ses séances avec le Dr Melfi, psychiatre, marquent une rupture dans la narration et offrent un recul très intéressant : commentaire de l’action, flash backs, exploration de l’inconscient du personnage, décalage entre son discours et la réalité telle qu’elle nous est montrée, la thérapie de Tony Soprano donne tout son sel à une série qui prend plaisir à se démarquer des grands films de mafia.

Filmé comme un lieu hors du temps et du monde – on ne fera qu’entrapercevoir le chemin que Tony emprunte pour s’y rendre -, le cabinet du Dr Melfi est à la fois un refuge et un réceptacle des fantasmes les plus divers. Dans leur ouvrage, « Les Soprano, portrait d’une Amérique désenchantée », Frédéric Foubert et Florent Loulendo décrivent bien ce lieu hors du monde : « A l’extérieur, passé la salle d’attente, l’indécision géographique est totale ; indécision d’autant plus surprenante pour une série ancrée dans une topographie si précise du New Jersey et n’aimant rien tant que montrer, dès son générique d’ouverture, les déplacements quotidiens de son héros. Si les autres lieux totémiques de la série sont en effet propices aux allées et venues incessantes des personnages (significativement, le Bada Bing et Satriale sont situés en bord de route), le cabinet de l’analyste semble n’exister que dans un outremonde indéterminé, augmentant la sensation irréelle de séquences venant marquer un temps d’arrêt à la fiction et à son lot de batailles mafieuses et domestiques. »

La conclusion, à laquelle le Dr Melfi aboutira à la lecture d’une étude intitulée The Criminal Personnality, est amère : psychothérapie et psychanalyse sont vaines pour les criminels de sa trempe, et si progrès il y eut, ils lui servirent principalement à affiner ses stratégies de chef de la Mafia locale. Pas de rédemption donc, mais un fascinant objet d’étude… et de fiction. Car si Lorraine Bracco obtint un prix de l’American Psychoanalytic Association récompensant « la psychanalyste la plus crédible jamais apparue au cinéma ou à la télévision », et fut également conviée à un congrès spécial d’une association de psychanalystes américains pour évoquer l’identification ressentie par les thérapeutes-spectateurs durant la diffusion de la série, il ne s’agit toutefois pas de perdre de vue que l’analyse de Tony est avant tout au service de la narration. Elle y occupe une place toute particulière, introduisant une véritable réflexion et conférant une grande densité à son personnage. Très admiratif du travail de David Lynch – et notamment de Twin Peaks -, David Chase est parvenu à faire du rêve et de la digression onirique un motif récurrent des Soprano, offrant ainsi une véritable plongée dans l’inconscient de son personnage principal.

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Huff, diffusée entre 2004 et 2006 sur Showtime, reste dans la veine tragi-comique de Sessions, et met en scène le personnage du Dr. Huffstodt (Hank Azaria), un psychiatre très compétent bouleversé par le suicide d’un patient dans son cabinet. Point de départ d’une immense remise en question, Huff nous fait ensuite découvrir la famille du psychiatre, de Beth, la très belle épouse, à Byrd l’enfant prodige, en passant par Izzy, sa propre mère au passé très sombre et Teddy, son frère schizophrène. La série s’achèvera au bout de deux saisons (26 épisodes).

En 2007, trois séries s’articulent autour de la figure d’un psy, de manière plus ou moins habile. Tell Me You Love Me, créée par Cynthia Mort et diffusée sur HBO, met en scène trois couples en crise : Dave et Katie, parents de deux enfants, qui se sont quelque peu perdus de vue au fil des années ; Carolyn et Palek, trentenaires dans le vent et plutôt aisés, tentent désespérément d’avoir un bébé, laissant peu à peu leur désir d’enfant consumer l’équilibre de leur couple ; Hugo et Jaimie, enfin, jeune couple sur le point de se marier lorsque l’une commence à éprouver des doutes au sujet de la fidélité de l’autre. Au centre de ce dispositif, le Dr May Foster, psychothérapeute sexagénaire et à priori totalement épanouie dans son couple, tente de mettre à jour leurs angoisses et leurs incompréhensions. Le buzz qui accompagna la série – les scènes de sexe, très crues, étant supposées non simulées – finit malheureusement par lui nuire, en l’enfermant dans une logique voyeuriste et réductrice ; dommage, car Tell Me You Love Me avait bien davantage à proposer que quelques scènes de sexe, simulées ou pas.

La même année, la chaîne Starz diffuse Head Case (de 2007 à 2009), centrée autour du personnage d’Elizabeth Goode, la thérapeute de l’élite hollywoodienne. Non conventionnelle, volontiers désagréable et franchement tourmentée, le Dr. Goode partage son cabinet avec le Dr. Myron Finkelstein, freudien vieillissant et au bord de la faillite. Malgré un humour assez mordant et des guests de qualité – Jerry Seinfield, notamment, y incarnera un patient -, Head Case ne trouvera jamais réellement son public et sera annulée au bout de trois saisons.

Toujours en 2007, Lifetime diffusa State of Mind : Lili Taylor – Lisa dans Six Feet Under – y interprète le personnage du Dr. Ann Bellows, thérapeute dont la vie dérape le jour où elle découvre que son mari la trompe avec leur conseiller conjugal. La série sera annulée au bout de 13 épisodes.

L’année 2008 est une petite révolution, avec l’arrivée sur les écrans américains de In Treatment, adaptation de la série israélienne Be Tipul, créée par Hagai Levi en 2005. Cinq ans plus tard, quatorze pays, dont les États-Unis, ont ou vont réaliser une adaptation de la série israélienne. Diffusée depuis le 28 janvier 2008 sur HBO, la version américaine de Be Tipul est extrêmement fidèle à l’originale. Et pour cause : Hagai Levi en est également le producteur exécutif, et a joué un grand rôle dans le travail d’adaptation.

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In Treatment reprend le même découpage scénaristique : l’épisode du lundi (la série est diffusée quotidiennement par HBO, et rediffusée sur le même rythme en France par Orange Cinéma Séries) est consacré à la première patiente de la semaine, Laura ; le mardi on retrouve Alex, puis Sophie le mercredi, suivie de Jake et Amy le jeudi ; le vendredi, c’est au tour du psy lui-même, Paul Weston, de retrouver sa propre thérapeute. Chaque épisode dure trente minutes et respecte la durée d’une séance. Les difficultés que traversent les personnages de la série sont volontairement très marquées, parfois presque archétypales : la tension et l’efficacité dramatique passent avant le réalisme clinique, mais la tonalité d’ensemble est si juste que l’on ne saurait s’en plaindre.

Une justesse portée en premier lieu par une distribution impeccable et d’excellents acteurs, avec une mention spéciale à Gabriel Byrne dans le rôle du psy. Les dialogues – en grande partie issus de la version originale – sont d’une incroyable finesse, servis par des silences tout aussi porteurs de sens. Car le moindre geste, la moindre respiration compte ici, dans une configuration finalement très proche du théâtre ; la dimension théâtrale est par ailleurs davantage ressentie dans Be Tipul, où les mouvements de caméra sont quasiment inexistants et la mise en scène limitée aux champs / contrechamps.

Il est également amusant de noter, de la version israélienne à la version américaine, la différence de ton dans les échanges entre le psy et ses patients, voire entre le psy et sa propre thérapeute : là où la communication est souvent rugueuse, plus directe voire agressive dans Be Tipul, In Treatment donne une impression plus policée ; il est d’autant plus passionnant de voir s’écailler successivement les couches de vernis… En France, In Treatment a été injustement traduit par « En Analyse ». Il n’est pourtant pas question dans cette série de psychanalyse mais de psychothérapie ; les mécanismes à l’oeuvre entre un patient et son analyste se jouant en grande partie à un niveau inconscient, il aurait probablement été difficile de les rendre plus visibles, et donc plus lisibles, par le spectateur. Un spectateur qui se pose ici en véritable voyeur, autorisé pour la première fois à assister en secret à une psychothérapie qui n’est pas la sienne, et qui vient pourtant raviver ses propres plaies. C’est probablement la raison principale du succès mondial de Be Tipul.

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En 2009 débarque Lie To Me, créée par Samuel Baum d’après les découvertes scientifiques du docteur en psychologie clinique Paul Ekman – pionnier dans l’étude des émotions via les expressions du visage - ; la série met en scène Cal Lightman, docteur en psychologie spécialisé dans l’analyse du langage corporel et des micro-expressions, qui a exercé quelques années auprès du gouvernement anglais puis des services secrets américains avant de fonder sa propre entreprise, le groupe Lightman.

Impossible, enfin, de citer toutes les séries qui intègrent à l’intrigue et au casting un personnage de psy occasionnel ; on se souvient notamment du Dr. Tracy Clark, la première psy d’Ally McBeal, aussi cinglée que ses patients mais néanmoins compétente : fervente adepte de la « thérapie du sourire », elle leur demande à tous une chanson fétiche et chante durant les séances de consultation ; Dexter (1.08, Shrink Wrap) révèlera sa véritable nature à un psy lui-même responsable de la mort de plusieurs femmes ; Betty Draper, dans Mad Men, exprimera ses angoisses et ses attentes sur le divan d’un psychanalyste ; Bette et Tina, dans The L Word, exploreront sans grand succès les thérapies de couple puis de groupe ; quant à Brenda Chenowith (Six Feet Under), née d’un père psychiatre et d’une mère psychologue totalement fêlés, soeur d’un psychotique violent et suicidaire, elle simulera la maladie mentale à l’attention des psys chargés de son observation durant son enfance – elle fut très tôt diagnostiquée comme surdouée -, avant de poursuivre elle-même des études de psychologie et de spécialiser dans le développement de l’enfant surdoué.

Et lorsque la fiction rejoint le réel, psychologues et sociologues s’accordent pour affirmer que les telenovelas brésiliennes et mexicaines ont sauvé la Russie du désespoir et de la guerre civile : dans un entretien au journal moscovite Ogoniok, le critique de cinéma Daniil Dondoureï assure que ces séries ont servi de « divan thérapeutique » à la population russe, marquée par les conflits armés, la crise économique et la corruption.

Un psy dans la télévision ? Que demande le peuple…

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