samedi 6 novembre 2010

Les séries HBO : Oz (journée d'étude du 8 juin 2010)

Après Dream On , étudiée par Vincent Colonna et Marc Cerisuelo lors de la deuxième journée d’étude sur les séries HBO, c’est un compte-rendu de l’analyse de Oz, par Séverine Barthes, que God Save My Screen vous propose aujourd’hui.

Oz, par Séverine Barthes

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1997-2003 / 6 saisons / créée par Tom Fontana / drama carcéral

Au sein de la prison de haute sécurité Oswald State Penitenciary, surnommée Oz, se trouve Emerald City, unité pilote administrée par Tim Mc Manus dans le but d’améliorer les conditions de vie des détenus. Mais dans ce monde hors du monde, où les criminels les plus endurcis ont une grande liberté de mouvement, dominent seulement la violence, la peur et la mort.

Auparavant producteur et scénariste des très sombres St Elsewhere et Homicide, Tom Fontana s’est toujours défendu de tenir un quelconque discours politique dans Oz : insistant sur les ambitions esthétiques et sur la notion de responsabilité individuelle - dès le pilote, Augustus Hill déclare ainsi : “Ce que Mc Manus ne comprend pas, c’est qu’il faut vouloir être sauvé”-, Tom Fontana refuse que sa série soit réduite au statut de “série engagée”. Contradictoire ? Oui et non, car Fontana, comme le souligne Marjolaine Boutet à la fin de l’intervention de Séverine Barthes, ne fait ici que s’inscrire dans un discours largement partagé par tous les créateurs de séries américaines - y compris ceux de South Park - : en refusant de reconnaître ouvertement leur série comme politique ou politisée, il s’agit avant tout de se défendre de l’appartenance à un parti. Oz n’est donc pas une série militante, mais elle est incontestablement politique, au sens où elle s’attache à décrire et étudier la structure et le fonctionnement d’une société.

Le discours politique, jamais direct, se met en place à travers le procédé de l’intertextualité. La première grande référence intertextuelle est l’utilisation du modèle de la tragédie grecque. Modèle que l’on retrouve tout d’abord à travers la figure du narrateur, Augustus Hill (Harold Perrineau), remplissant ici les fonctions du coryphée (chef de choeur) au sein de son cube de verre, qui fait ici office d’orchestra (espace réservé au choeur) et sur les parois duquel sont projetées des images en rapport avec le thème de l’épisode. Comme le choeur et son coryphée, donc, Augustus Hill commente ou résume l’action, nous permettant à l’aide de statistiques, de citations ou de données sociologiques de mettre en perspective ce que nous voyons. C’est ainsi par la position du narrateur que transite indirectement le discours politique et idéologique, au lieu d’être directement véhiculé par l’action.

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Du modèle de la tragédie grecque, Oz s’approprie également les notions de fatum et d’hybris. Le fatum, ou destin, est dans la mythologie grecque une divinité aveugle issue de la nuit et du chaos, à laquelle toutes les autres divinités sont soumises. Le personnage, pris dans cette destinée, ne peut absolument rien faire pour en sortir. Seuls les oracles pouvaient donner une idée de ce que réservait le destin, mais uniquement sous forme de messages énigmatiques ; GilesReabadow semblent être, dans Oz, une incarnation de ces oracles, comme l’était la Pythie de Delphes. Quant à l’hybris, sentiment très violent inspiré par l’orgueil, elle était dans l’Antiquité considérée comme un crime et constituait la pire des fautes. Désirer davantage que ce que le destin nous réserve : c’est le cas de Tim Mc Manus, convaincu qu’il est le seul être capable de modifier la société. et

Oz emprunte également à la tragédie grecque la notion de “famille maudite“, et oppose aux Atrides la famille Alvarez (qui comptera jusqu’à quatre générations en prison), la famille Schillinger (Vern et son fils) et les frères O’Reilly. Ici, ce ne sont plus des raisons mythologiques ou philosophiques qui sont invoquées pour expliquer ces malédictions, mais des causes sociologiques comme la pauvreté et le manque d’éducation.

La deuxième grande référence intertextuelle est celle du panoptique : modèle d’architecture carcérale résolument positive aux yeux de son inventeur, le philosophe Jeremy Bentham, la structure panoptique avait pour but de permettre à un individu, logé dans une tour centrale, d’embrasser du regard toutes les cellules individuelles disposées autour ; Michel Foucault, dans Surveiller et Punir, analysa la structure panoptique non plus comme utopie sociale mais comme dystopie, l’étendant aux écoles, aux usines, aux hôpitaux, aux casernes, le panoptique étant devenu selon lui le symbole et le modèle d’une “société disciplinaire”. Quiconque a vu Oz reconnaîtra la même structure panoptique, ici illustrée par une photo de la prison de Kilmainham Gaol, à Dublin :

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Si le modèle de la tragédie grecque et le panoptique sont les deux références fondatrices de la série, les deux piliers qui définissent sa structure, Oz abonde en citations : de Orwell - le septième épisode de la deuxième saison s’intitule “Animal Farm“, du nom d’un des ouvrages les plus connus de l’auteur - à La Cène, de Léonard de Vinci - ici reconstituée en tableau vivant au sein du réfectoire de Emerald City, dans une scène montée en alternance avec le discours d’Augustus Hill, sans oublier les nombreuses références au Magicien D’Oz, la série de Tom Fontana s’appuie toujours sur la citation et l’intertextualité pour véhiculer un discours idéologique indirect, et établir un jeu de références communes entre le créateur, les personnages et le public.

Suite à la très riche intervention de Séverine Barthes, Vincent Colonna soulève également une question intéressante : ne pourrait-on pas, en lieu et place du modèle de la tragédie grecque, analyser Oz à la lumière du puritanisme et du protestantisme ? Le concept de prédestination, croyance selon laquelle Dieu aurait depuis toujours et pour toujours choisi parmi nous les Elus, ceux qui seront grâciés et bénéficieront de la vie éternelle, recoupe en effet très justement la notion de fatum, de destin. L’importance donnée au travail, pour les protestants comme pour les détenus d’Oz, donne également matière à réfléchir.

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